lundi 5 mai 2014

Brésil, le pays où la vie est plus chère au monde.







Forte affluence en ce début de week-end. Une semaine après l'ouverture en grande pompe, le 15 février, du premier Apple Store d'Amérique latine dans ce centre commercial ultrachic de Barra da Tijuca, à l'ouest de Rio de Janeiro, la horde d'employés en tee-shirts bleus s'affaire, toujours prompte à répondre à une poussée de fièvre acheteuse. Les produits s'étalent et les prix défilent sur les écrans tactiles. Placé bien en rang face à l'entrée, l'objet phare du moment, l'iPhone 5S, s'affiche dans sa version 16 Go à 2 799 reais, l'équivalent de 868 euros. Une sacrée somme qui place ce modèle en tête de la liste des prix proposés à travers le monde sur le site d'Apple.
Par rapport aux 472 euros pratiqués aux Etats-Unis et aux 634 euros en Chinepour le même produit, le téléphone brésilien joue dans une catégorie à part, bien au-dessus du lot. « Nous aussi, on se perd en conjectures, admet José, jeune vendeur de la boutique Apple. On invoque les taxes, le dollar fort, les problèmes de logistique ou de transport. Mais le prix est là et visiblement l'objet trouve sesclients, et même plutôt nombreux. »
EN TÊTE DES ENQUÊTES DE PRIX À LA CONSOMMATION
De fait, le Brésil n'est pas à une contradiction près. Le pays est un des dix plus grands marchés de smartphones au monde avec près de 50 millions d'usagers recensés fin 2013, malgré les tarifs de communication eux aussi parmi les plus chers de la planète. Selon l'Union internationale des télécommunications (UIT), les prix peuvent y atteindre 0,54 euro la minute. Dans un autre registre, la console Xbox (Microsoft) au Brésil est elle aussi la plus coûteuse au monde.
Les voitures et les appareils ménagers coûtent au moins 50 % de plus que dans la plupart des pays. Pour des biens courants comme les rasoirs ou les jouets d'enfants, la différence est parfois bien plus grande. D'après le site de voyageTripAdvisor, vingt-quatre heures à Sao Paulo ou à Rio de Janeiro coûtent davantage qu'une nuit à Londres ou à Zurich (Suisse) – sans même évoquer la période de la Coupe du monde (12 juin-13 juillet). Le pays arrive en tête de pratiquement toutes les enquêtes de prix à la consommation. Même l'indice « Big Mac » de l'hebdomadaire The Economist place, dans sa dernière livraison de janvier, le sandwich brésilien en haut de son échelle de prix, précédé uniquement par les norvégiens et suisses. Il occupait la cinquième place en 2013.
La liste est longue. Elle est d'autant plus surprenante quand on compare ces données au salaire moyen d'un brésilien, proche de 2 000 reais par mois, selon le site Trading Economics. Le quart d'un revenu européen ou nord-américain. Cela signifie que le prix du sandwich de McDonald's est 70 % plus cher que ce qu'il devrait coûter. L'iPhone n'est pas en reste. Il a vu huit usines du géant taïwanais de la sous-traitance électronique Foxconn s'installer ces dernières années, principalement autour de Sao Paulo. Un mouvement qui avait suscité l'espoir à Brasilia de voir, à terme, une baisse importante des produits Apple. A tort. Le prix de vente dans les magasins autorisés a même connu une augmentation de 17 % depuis septembre 2013, trois fois l'inflation annuelle…

MANQUE DE RÉFORMES STRUCTURELLES
Les raisons liées à cette envolée des prix sont légion. Pendant des années, la surévaluation de la monnaie a été pointée pour avoir fragilisé l'industrie et les producteurs locaux. Lorsque Lula arrive au pouvoir en 2003, le dollar s'échangeait à 3,5 reais. Après être tombé à 1,5 real, il est à 2,35 reais aujourd'hui. Mais de l'avis de nombreux experts, les problèmes de compétitivité du Brésil dépassent et de loin le cadre du taux de change.
Le pays renvoie invariablement l'image d'un géant qui n'en finit pas de pâtir d'un manque de réformes structurelles. Avec cette particularité de conjuguer un lourd déficit en infrastructures à un système fiscal d'une pesanteur abyssale. Avec 58 % d'impôts sur les salaires, le pays arrive largement en tête de l'échelle fiscale des plus grands pays de la planète. Et avec 36 % du PIB, le poids des taxes est de loin le plus important en comparaison aux autres pays émergents – ou émergés, selon la définition.
Au-delà du coût de la vie exorbitant, le pays souffre d'un handicap moins visible baptisé « coût Brésil » : complexité tatillonne des démarches administratives, lenteur des systèmes de distribution et des transportsservices publics inadaptés, corruption endémique… Une entreprise de taille moyenne consacre annuellement 2 600 heures pour être en règle avec le fisc. C'est dix fois plus, en moyenne, qu'ailleurs.

 VAGUES D'HYPERINFLATION
La répartition des richesses est également montrée du doigt. Malgré unepopulation encore jeune, le système des retraites ressemble à celui appliqué dans certains pays européens, où la proportion des personnes âgées est deux à trois fois plus importante. Radical, Vladimir Safatle, professeur à l'université de Sao Paulo, estime que « le trophée de pays le plus cher du monde devrait être attribué à ce marché oligopolistique et aux inégalités du pays ».
Ajoutons encore que les vagues d'hyperinflation qu'a connues le Brésil à plusieurs reprises ont marqué les consciences collectives. L'envolée de certains prix n'inquiète pas outre mesure le consommateur, du moins tant que sa carte de crédit autorise un paiement en plusieurs fois, sans frais. Le coût de l'iPhone est donc à ce titre révélateur.
En 2010, Steve Jobs avait refusé d'installer un magasin à Rio, rapporte la presse locale. L'ancien patron d'Apple avait alors expliqué son choix en prétextant unepolitique fiscale « excessive » du gouvernement. Aujourd'hui, l'Apple Store est grand ouvert. Les taxes n'ont pas changé, les prix beaucoup.

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